Séance publique annuelle des cinq Académies à l’Institut de France : l’intelligence alliée à l’exigence du savoir
Organisée chaque année, le mardi le plus proche du 25 octobre, date de la création de l’Institut de France en 1795, la séance publique annuelle des cinq académies (Académie des sciences morales et politiques, Académie des beaux-arts, Académie des sciences, Académie des inscriptions et belles lettres, Académie française) a pour vocation de réaffirmer les valeurs de l’Institut de France et notamment celles ayant trait au perfectionnement et à la diffusion des savoirs. Toujours choisi collégialement le thème de cette année était l’irrationnel.
Ouverte par Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française et Président de l’Institut de France, cette séance de haute tenue intellectuelle a donné la parole à 5 académiciens qui ont su démontrer que l’irrationnel nous revient toujours comme un destin.
C’est à Chantal Delsol de l’Académie des sciences morales et politiques que l’on doit le premier et flamboyant discours sur l’irrationnel comme scandale et comme destin. Un irrationnel défini par le dictionnaire comme ce qui est en dehors du domaine de la raison ou qui s’y oppose. Or, l’avènement de la raison c’est aussi la fin du monde enchanté. C’est aussi l’homme qui juge ou encore comme l’écrivit Nietzsche « la pauvre certitude du vide ». Devenue un substitut à la foi, la raison a laissé à l’irrationnel les oripeaux de l’enfance et du naufrage. L’irrationnel est vécu comme un scandale. Et c’est au nom de cette raison que nos sociétés s’engouffrent dans une mondialisation dérégulée et que les choses non comptables sont comptabilisées en monnaie. La marchandise devient fétiche et idole. On accuse désormais d’irrationnel. Comme si ce qui échappait à la raison était devenu un monstre à combattre. Or, comme l’écrivit Charles Dickens « Lorsque le merveilleux aura été chassé de leur âme alors la réalité les dévorera ». Et c’est aussi parce que nous sommes des êtres relationnels que le sentiment religieux définit plus l’humanité. Une humanité qui ne peut pas vivre à perpétuité dans l’universel abstrait car des pans entiers de l’existence échappent à la raison. L’irrationnel seul permet l’essentiel : la liberté comme modèle fondateur.
C’est ensuite un Patrick de Carolis, délégué de l’Académie des beaux-arts, tout en prestance et lyrisme qui évoqua l’irrationnel et la lumière de l’art. Notamment en revenant sur l’expérience émotionnelle du musicien Francis Poulain qui lorsqu’il découvrit dans une église la statue d’une vierge noire fut saisi du coup de poignard de la grâce en plein cœur. Une introduction poétique pour dire la nécessité d’appréhender le réel par l’art. Car l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. Il est cette émotion qui corrige la règle comme se plaisait à le dire Georges Braque. L’irrationnel dans l’art c’est aussi ce qui autorise le dynamitage de toutes les soumissions. Il est une source du génie humain. Etre un artiste c’est faire un voyage dont on ne connait pas le chemin. C’est une perception de l’infini car l’art nous submerge et nous ranime.
Puis, la parole fut prise par Etienne Ghys, délégué de l’Académie des sciences, autour de l’irrationnel mathématique. Mathématicien de génie sachant transmettre son savoir avec fantaisie et simplicité, Etienne Ghys est revenu sur les nombres rationnels Pythagoriciens mais aussi sur les nombres irrationnels. Découverts par Hippase de Métaponte ces nombres irrationnels lui valurent la mort. Il est également revenu sur la notion des énoncés indécidables en mathématique et a démontré que notre cerveau ne peut pas accéder à toute vérité. Car nous ne savons jamais tout.
Le 4ème intervenant fut Pierre Gros, délégué de l’Académie des inscriptions et belles lettres. Cet historien de l’antiquité romaine, archéologue et latiniste fit un discours très érudit et dense sur les nombres irrationnels du Timée, de Platon au traité d’architecture de Vitruve, mais aussi un éloge de l’architecture en évoquant notamment le célèbre nombre d’or défini comme le langage mathématique de la beauté. Un nombre d’or aujourd’hui sacralisé par nos sociétés.
La séance prit fin sur l’intervention de Jean-Luc Marion, délégué de l’Académie française. En tant qu’agrégé de philosophie, il a dans un discours complexe et passionnant évoqué l’irrationnel et l’impossible, le résidu et l’irréductible. Il a notamment abordé la question du sommeil de la raison qui produit les monstres mais aussi la folie pouvant guetter celui n’acceptant que la raison. Car on demande aujourd’hui à l’homme de croire à la science au moment même où il faudrait éliminer la foi. Enfin, il a rendu hommage au pouvoir de la littérature qui rend accessible ce mystère de la vie des autres. « Nous démêlons mieux nos passions en lisant La Chartreuse de Parme » a-t-il rajouté.
Comme à l’accoutumée, cette séance s’est déroulée sous la coupole de l’Institut de France en présence de la Garde Républicaine. A l’émerveillement de l’ouïe faisant suite à l’écoute de ces discours s’est également invité celui des yeux. A nouveau, l’Institut de France est resté fidèle à son engagement et à la phrase d’Ernest Renan qui fut l’un de ses académiciens. « L’institut de France, où tous les efforts de l’esprit humain sont comme liés en un faisceau ».
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